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Aristote : "la poetique"

Aristote (extrait) "la poetique" reflexions sur l'imitation et les arts

Pour Aristote ce qui place un artiste au dessus d'un technicien ou d'un artisan c'est sa capacité à organiser et raconter une histoire ; c'est elle qui determinera le plus le plaisir du spectateur en l'entrainant dans le monde des passions humaines


La poetique (extrait) Aristote


CHAPITRE VI

Définition de la tragédie. - Détermination des parties dont elle se compose. - Importance relative de ces parties.

I. Nous parlerons plus tard de l'art d'imiter en hexamètres (21) et de la comédie (22), et nous allons parler de la tragédie en dégageant de ce qui précède la définition de son essence.
II. La tragédie est l'imitation d'une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d'une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature (23).
III. J'entends par "langage rendu agréable" celui qui réunit le rythme, l'harmonie et le chant, et par les mots "que chaque partie subsiste séparément" j'entends que quelques-unes d'entre elles sont réglées seulement au moyen des mètres, et d'autres, à leur tour, par la mélodie.
IV. Mais, comme c'est en agissant que (les poètes tragiques) produisent l'imitation , il en résulterait nécessairement que l'ordonnance du spectacle offert est la première partie de la tragédie ; vient ensuite la mélopée et, enfin, le langage parlé, car tels sont les éléments qui servent à produire l'imitation (24).
V. J'entends par "langage parlé" la composition des mètres, et par "mélopée" une chose qui possède en soi une valeur évidente pour tout le monde (25).
VI. Maintenant, comme l'imitation a pour objet une action et qu'une action a pour auteurs des gens qui agissent, lesquels ont nécessairement telle ou telle qualité, quant au caractère moral et quant à la pensée (car c'est ce qui nous fait dire que les actions ont tel ou tel caractère), il s'ensuit naturellement que deux causes déterminent les actions, savoir : le caractère moral et la pensée ; et c'est d'après ces actions que tout le monde atteint le but proposé, ou ne l'atteint pas.
VII. Or l'imitation d'une action, c'est une fable (26) ; j'entends ici par "fable" la composition des faits, et par "caractères moraux" (ou moeurs) ceux qui nous font dire que ceux qui agissent ont telle ou telle qualité ; par "pensée", tout ce qui, dans les paroles qu'on prononce, sert à faire une démonstration ou à exprimer une opinion.
VIII. Il s'ensuit donc, nécessairement, que toute tragédie se compose de six parties qui déterminent son caractère ; ce sont: la fable, les moeurs, le langage, la pensée, l'appareil scénique et la mélopée.
IX. Deux de ces parties concernent les moyens que l'on a d'imiter ; une, la manière dont on imite ; trois, les objets de l'imitation ; puis c'est tout.
X. Un grand nombre d'entre eux (27) ont employé ces formes ; et, en effet, tout (poème tragique) comporte en soi de la même façon un appareil scénique, un caractère moral, une fable, un langage, un chant et une pensée.
XI. Le point le plus important, c'est la constitution des faits, car la tragédie est une imitation non des hommes, mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ; et en effet, le bonheur, le malheur, réside dans une action, et la fin est une action, non une qualité.
XII. C'est par rapport aux moeurs que les hommes ont telle ou telle dualité, mais c'est par rapport aux actions qu'ils sont heureux ou malheureux. Aussi ce n'est pas dans le but d'imiter les moeurs que (les poètes tragiques) agissent, mais ils montrent implicitement les moeurs de leurs personnages au moyen des actions; de sorte que ce sont les faits et la fable qui constituent la fin de la tragédie ; or la fin est tout ce qu'il y a de plus important.
XIII. Je dirai plus : sans action, il n'y aurait pas de tragédie, tandis que, sans les moeurs, elle pourrait exister ; et en effet, chez la plupart des modernes, les tragédies n'ont pas de place pour les moeurs (28), et, absolument parlant, beaucoup de poètes sont dans ce cas (29). Ainsi ; chez les peintres, c'est ce qui arrive à Zeuxis comparé à Polygnote. Polygnote est un bon peintre de moeurs, tandis que la peinture de Zeuxis n'a aucun caractère moral.
XIV. Ce n'est pas tout : si l'on débitait une suite de tirades morales et des discours ou des sentences bien travaillées, ce ne serait pas là ce que nous disions tout à l'heure constituer une oeuvre tragique ; on le ferait beaucoup mieux en composant une tragédie où ces éléments seraient moins abondants, mais qui posséderait une fable et une constitution de faits.
XV. II en est de même (30) dans les arts du dessin ; car, si l'on étalait pêle-méle les plus riches couleurs, on ne ferait pas autant plaisir qu'en traçant une figure déterminée au crayon.
XVI. Ajoutons que les parties de la fable les plus propres à faire que la tragédie entraîne les âmes, ce sont les péripéties et les reconnaissances.
XVII. Une autre preuve encore, c'est que ceux qui abordent la composition dramatique peuvent arriver à une grande habileté sous le rapport du style et des moeurs, avant de savoir constituer les faits. Au surplus, c'est ce qui est arrivé à presque tous les premiers poètes.
XVIII. Ainsi donc le principe, et comme l'âme de la tragédie, c'est la fable. Les moeurs viennent en second lieu ; car l'imitation (31) est l'imitation d'une action et, à cause de cette action, l'imitation de gens qui agissent.
XIX. Puis, en troisième lieu, la pensée, c'est-à-dire la faculté de dire avec convenance ce qui est dans le sujet et ce qui s'y rapporte, partie qui, en fait d'éloquence, est l'affaire de la politique et de la rhétorique. En effet, les personnages que les anciens mettaient en scène parlaient un langage politique, et ceux d'aujourd'hui parlent un langage oratoire.
XX. Le caractère moral, c'est ce qui est de nature à faire paraître le dessein. Voilà pourquoi il n'y a pas de caractère moral dans ceux des discours où ne se manifeste pas le parti que l'on adopte ou repousse, ni dans ceux qui ne renferment absolument rien comme parti adopté ou repoussé par celui qui parle. La pensée, c'est ce qui sert à démontrer qu'une chose existe ou qu'elle n'existe pas, ou, généralement, à énoncer une affirmation.
XXI. En quatrième lieu vient la diction : or j'appelle "diction" comme on l'a dit précédemment (32), l'élocution obtenue au moyen de la dénomination, ce qui est d'une même valeur, soit qu'il s'agisse de paroles versifiées, ou de discours en prose.
XXII. En cinquième lieu vient la mélopée, partie la plus importante au point de vue du plaisir à produire.
Quant à l'appareil scénique, c'est une partie qui, certes, entraîne les âmes, mais elle est indépendante de l'art et n'appartient en aucune façon à la poétique ; car la tragédie subsiste indépendamment de l'exécution théâtrale et des acteurs, et ce qui est essentiel pour la confection de l'appareil scénique, c'est plutôt l'art du costumier que celui du poète.


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